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Réconcilier le Savoir-faire et le Savoir-être pour construire la transition : l’expérience du Collectif La Nuée à St-Didace – POSSIBLES VOLUME 45. NUMÉRO 2 AUTOMNE 2021

Entrevue avec Atlantis Puisegur et Marie Soleil L’Allier
Atlantis Puisegur est un des membres engagés au Collectif la Nuée (lanuee.org) ancien travailleur du
communautaire. Fort de ses nombreuses formations ou expériences (écocommunautés, sociocratie,
permaculture …), il a su créer les liens permettant un tel projet. Il est actuellement en processus de
certification du Centre de Communication Non violente (CNVC). Il fait partie du cercle Noeuds et Conflits
(cercle sociocratique au Bâtiment 7), de Diffusion Focusing Québec et de Santé Mental Québec Rive-Sud
où il facilite des pratiques de Communication Consciente et de focusing, des Cercles restauratifs et des
cercles de soutien au développement. Marie-Soleil L’Allier est membre collaboratrice du Collectif La Nuée.
Après une maîtrise sur le rôle des entreprises dans la transition socio-écologique, elle cofonde LOCO, une
petite chaîne d’épiceries écologiques zéro déchet à Montréal. Depuis 2018, elle s’intéresse au concept des
communs et réalise une thèse sur les pratiques de commoning au doctorat en Sciences de l’environnement
de l’UQAM. Fiduciaire de la FUSA des Vallons d’En-Haut, elle s’intéresse également à la transition vers des
systèmes alimentaires post-croissance. Cette entrevue a été réalisée par Raphaël Canet.
RC. Pouvez-vous m’expliquer ce qu’est le Collectif La Nuée, ses objectifs, comment il est né ?
AP. L’objectif du Collectif La Nuée, c’est de développer un espace de vie plus écologique et social que ce
à quoi nous sommes généralement accoutumés. C’est de sortir du paradigme de domination capitaliste
pour aller vers quelque chose de plus horizontal et respectueux de l’environnement. C’est vraiment
de démontrer, par la pratique, qu’un autre monde est possible. Cela suppose de mettre en place des
systèmes de communication interpersonnels permettant de gérer les conflits, d’établir des espaces de
co-création qui permettent de faire face aux changements environnementaux comme des maisons
écologiques par exemple, d’être plus autonomes dans nos façons de fonctionner, de travailler. On a une
vision plutôt locale, mais pas uniquement centrée sur notre écovillage. On veut vraiment travailler avec les
gens du coin, les agriculteurs, les partenaires, les arrondissements, les municipalités, les MRC, etc. L’idée
de collaboration est très importante pour nous dans ce projet. Nos valeurs communes sont des valeurs de
confiance et de bienveillance. Le travail sur soi est très développé dans notre groupe, prendre le temps
d’apprécier comment on parle avec les autres et prendre conscience des effets qu’on peut avoir sur les
autres. Comprendre comment on peut être connectés sans nécessairement être en accord, faire preuve
d’ouverture, accepter que les gens soient différents, qu’ils pensent différemment, pour être capables de
communiquer, de dialoguer. Bref, apprendre à vivre ensemble et pas tout seul chez soi avec la télé, être
vraiment impliqués dans des liens collaboratifs, s’engager dans un processus qui est collectif.
MSL’A. Effectivement, et je pense aussi que c’est un lieu d’expérimentation. On est nés dans une société
capitaliste et tout ce que nous avons connu, ce sont des relations plutôt hiérarchiques (on écoute nos
professeurs, nos parents, nos employeurs). On est tout le temps dans cette dynamique et je trouve que
le Collectif La Nuée, c’est un espace où on essaie de briser cette logique et de prendre des décisions
en se plaçant toutes et tous au même niveau. On n’a pas beaucoup de lieux où on peut expérimenter
cela. Ça ne fait pas longtemps que j’ai intégré le Collectif, mais je me rappelle qu’au début, j’étais mal à
l’aise quand je voyais que les gens n’étaient pas d’accord et qu’ils n’en n’étaient pas du tout gênés ! Moi,
j’étais habituée à raisonner autrement : il faut être d’accord et essayer à tout prix de trouver un moyen
pour que tout le monde soit d’accord. Mais non, c’est correct d’apprivoiser cette espèce de malaise-là.
C’est un des objectifs de La Nuée : être capables de se dire que ce n’est pas grave s’il y a des conflits ou
si on n’est pas toutes et tous du même avis. L’objectif, c’est plutôt de trouver une solution qui prenne
en compte les différentes suggestions, de faire évoluer les idées et d’accepter de changer soi-même
tout autant que d’influencer le groupe. Il y a donc une espèce de relation qui s’établit, certains vont
appeler ça de la résonance. Ton objectif n’est pas de convaincre les autres, mais d’apporter un point et
ensemble, changer et créer une nouvelle dynamique.
RC. Vous faites beaucoup ressortir les valeurs, la dynamique de dialogues à l’intérieur de la
communauté. Quelle est la relation entre le groupe et l’écovillage ? Est-ce que c’est un prétexte pour
construire la communauté ou le contraire ? Lequel vient avant l’autre ? Comment vous arrimez les
deux, construire un écovillage et bâtir une communauté sur des valeurs différentes ?
AP. En fait, les deux sont importants, je ne pense pas qu’il y en ait un qui puisse aller sans l’autre,
parce que si on n’arrive pas à bâtir une communauté, on ne créera pas d’écovillage. On peut parler
par expérience parce qu’on a vécu des conflits avec certains groupes au début. On a pu constater que
si on ne peut pas communiquer avec bienveillance, avec transparence (qui est d’ailleurs une autre
valeur importante pour nous) et sans que les gens prennent conscience de leur pouvoir, alors on ne
peut pas avancer ensemble. Le savoir-être est aussi important que le savoir-faire finalement, ils sont
indissociables.
MSL’A. En fait, la communauté se construit à travers la mise en place de ce savoir-être. Le chemin est
tout aussi important que la destination vers laquelle l’on tend.
AP. À chaque réunion qu’on fait, il y a toujours des cercles d’ouverture, des cercles de fermeture, des
espaces où on peut parler de comment on se sent. On a aussi créé tout un système restaurateur pour
apprendre à vivre à travers les conflits et en sortir grandi. Si tu entres en conflit avec quelqu’un, qu’estce
qui se passe ? Quelles sont les étapes subséquentes de la gestion du conflit ? Première étape : en
parler à la personne. Deuxième étape : demander à une tierce personne de guider la discussion si on
n’est pas capable. Troisième étape : faire le cercle de l’éléphant. C’est une rencontre où on discute de
tous les éléphants qui sont dans la pièce, c’est-à-dire de tous les malaises qui sont perçus par toutes
et tous mais dont personne ne parle. On fait un tour de cercle où tout le monde peut partager ses
impressions par rapport à tous ces enjeux. C’est vraiment un espace qui permet de créer des liens, de
la confiance, de la bienveillance, de la transparence et de favoriser finalement l’appropriation du projet
par toutes et tous. Tout le monde se sent responsable de la bonne entente au sein de la communauté.
Je parle beaucoup de responsabilité, cela veut dire de prendre la responsabilité de nos émotions, de ce
qu’on veut, c’est d’arriver non seulement avec des problèmes, mais aussi avec des solutions. On peut
ne pas être d’accord sur certaines choses, sur des besoins importants, mais on doit trouver d’autres
stratégies qui vont répondre à 100 % aux besoins de chacun. C’est vraiment dans ce sens-là qu’on essaie
de développer le processus réparateur qui offre un cadre sécuritaire au groupe, parce que chacun est
entendu et dispose de la place pour exprimer ce qu’il vit.
MSL’A. On dispose quand même de beaucoup d’outils. Prenons par exemple les réunions de travail.
Au début, on nomme qui va animer la réunion, qui va être le gardien du temps et qui prend les notes,
puis, à un moment donné, on s’est rendu compte qu’il nous fallait aussi un responsable du senti. C’està-
dire que si des tensions apparaissent pendant la rencontre, le responsable du senti peut intervenir
pour détendre l’atmosphère, et à la fin de la réunion on fait un retour là-dessus. On a commencé à
travailler en cercles de travail, par groupes de trois, et par réflexe, on a nommé un responsable du senti !
Finalement, on développe une manière d’être qui rend possible une gouvernance qui est complètement
décentralisée, mais il faut vraiment l’appliquer partout, dans toutes nos sphères de vie et dans toutes
les sphères de travail du projet en tant que tel.
RC. Revenons à l’écovillage, vous l’avez créé quand et combien de personnes y vivent-elles ?
AP. Personnellement, ça fait 20 ans que je réfléchis à un tel projet. Mais le groupe qui s’est rassemblé
pour créer ce projet-là, spécialement, s’est rencontré il y a quatre ans. On avait déniché un terrain
qui nous plaisait et on s’est dit qu’on allait faire quelque chose là. Finalement, le terrain n’était pas
accessible, donc on a continué à chercher pendant trois ans. Pendant ces trois années, on s’est rencontré
au moins une fois par mois, parfois trois. On a beaucoup travaillé et on a rassemblé un grand nombre de
documents. On a fait des exercices de co-création pour réfléchir sur nos modes de fonctionnement et
pour se donner des outils. Plusieurs membres ont commencé à visiter des écovillages pour s’inspirer, en
France, au Québec et ailleurs. Certains ont suivi des formations en sociocratie, en communications non
violentes, en système restaurateur, en facilitation de rencontres. Bref, il y a eu tout un processus.
Quand on a visité le terrain sur lequel on est présentement, on a eu un flash, c’était incroyable. On est
vraiment sur un terrain extraordinaire, ça vaut vraiment le coup de venir le voir. C’est un peu comme si
tu arrivais dans un autre monde, un monde magique. On s’est décidé juste avant la covid, le week-end
du 8 mars 2020, on a fait une offre d’achat qui a été acceptée à la fin avril. À cause de la covid, ça nous a
pris six mois avant de pouvoir prendre possession du terrain, en septembre 2020. Pendant ces six mois,
on s’est rencontrés tous les dimanches et tous les mardis et on a travaillé sur les règlements généraux,
bref, on a produit encore beaucoup de documentation. Le terrain comporte plusieurs bâtiments
dont deux maisons de cinq à six chambres, un grand bâtiment hexagonal de 4 500 pieds carrés sur
trois étages, qui est absolument magnifique, avec une dizaine de chambres et deux grandes salles. Il y
a également une immense menuiserie, un magasin, une grange. Il y a une cabane à sucre, une cabane à
outils. Il y a aussi beaucoup d’arbres sur place.
Quand on s’est installé, on a commencé à rénover tout de suite pour se préparer pour l’hiver. Il n’y avait
pas beaucoup de choses à faire mais on a dû couper du bois et faire les petits travaux nécessaires. On
n’avait pas beaucoup d’argent parce qu’on a essentiellement investi dans l’achat de la propriété qui nous
a coûté 460 000 $. Pendant l’hiver, il y a eu une petite pause de trois-quatre mois où on a juste assuré le
déneigement des toits et les tâches minimales. On était quand même là toutes les fins de semaine et on
a commencé à se diviser les tâches par cercles pour préparer les rencontres, les activités du dimanche
où on partageait des réflexions sur la vision et sur la mission du Collectif. Et depuis le printemps 2021, on
a repris nos activités et on passe notre temps à recevoir des personnes, organiser des visites et accueillir
de nouveaux membres. On est passés de six membres engagés à vingt-cinq membres en tout, dont une
dizaine de membres très actifs.
RC. Et les dix membres actifs, vous vivez-là en permanence ?
AP. Non, pas tous. Quatre personnes habitent ici à temps plein, et deux autres pendant la semaine. Puis,
il y a cinq ou six autres membres qui viennent quasiment chaque fin de semaine. Donc, on est toujours
quand même une belle gang sur place.
MSL’A. De mon côté, je me suis intéressée au Collectif au printemps dernier, j’ai vu passer ça sur les
réseaux sociaux. Ça faisait trois ans qu’on était à la recherche d’un terrain pour se démarrer un projet
dans ce style-là et ça ne marchait jamais. Quand on est arrivés ici, on a assisté aux premières rencontres et
on s’est dit : « Wow ! Ils sont donc bien organisés ». On voyait bien que tous les gens qui étaient là étaient
motivés par des projets de vie, ça faisait longtemps qu’ils pensaient à ça. Et il y a de plus en plus de gens
intéressés. Je pense qu’il y a un mouvement à l’échelle du Québec, des jeunes et des moins jeunes qui ont
envie de vivre autrement. Ça passe peut-être par une relocalisation, un retour dans les milieux régionaux.
Et pour compléter ce que tu disais, Atlantis, on mange souvent tous ensemble. Oui on travaille fort,
mais les repas sont vraiment des moments privilégiés où on n’est pas juste en train de travailler et où on
prend soin de soi et des autres. Tout le monde contribue à la tablée et je trouve que c’est vraiment un
élément essentiel au Collectif La Nuée, que personnellement, j’apprécie beaucoup.
RC. Quand vous travaillez, concrètement, vous faites quoi ?
AP. Je prends un exemple, Cédric, un nouveau membre depuis deux mois. Depuis qu’il est arrivé, il a
entièrement refait la route sur 1 km. Il a fait installer une machine pour recharger les voitures électriques,
il a remonté un garage, etc. Il y a aussi beaucoup de toits à refaire, donc, on travaille beaucoup pour
entretenir et aménager l’espace.
MSL’A. Pour prendre l’exemple d’Atlantis, quand on est arrivés en mars, il avait planté plus d’une
centaine d’arbres fruitiers et créé un immense jardin en permaculture en l’espace de quelques semaines !
Actuellement, on travaille pour monter un site Internet et élaborer un plan d’affaires parce qu’on veut
que le collectif devienne un incubateur à communs. On est aussi en train de monter un projet pour mieux
utiliser et protéger la forêt, et en même temps être capables de construire des nouvelles habitations à
partir des arbres qui sont sur place. Nous avons beaucoup de projets en cours !
AP. En effet, on a toute une liste de projets ! On est en train de développer une épicerie solidaire, dans
laquelle il va y avoir une conserverie, une boulangerie, un service traiteur, un café, etc. Tout cela dans
les mêmes locaux. Au bâtiment hexagonal, on souhaite développer des projets événementiels. On a
une menuiserie qui est un projet interne, mais qui peut être utilisée pour des projets particuliers aussi.
On a aussi un restaurant qui sert à faire plusieurs activités, comme un café. Il va y avoir aussi une ruche
d’art, qui est encore en train d’être développée. On voudrait peut-être faire un espace où il y aurait
des canots, des raquettes, des skis, des vélos pour permettre aux visiteurs d’aller explorer les sentiers,
de profiter de la rivière et du lac qui se trouve au pied de l’écovillage. Il y a aussi le projet de faire des
cabanes en bois sur le terrain. Il y a vraiment la possibilité de faire beaucoup de projets ici !
Il y a en fait différentes catégories de projets. Les petits projets du Collectif sont les projets les plus
faciles à réaliser. Et les projets plus importants nécessitent l’intervention d’entreprises extérieures,
de type OSBL ou d’économie sociale. Dans ces cas-là, les membres qui portent les projets ne sont pas
tous issus du Collectif La Nuée. Mais le Collectif joue quand même un rôle en s’assurant du respect des
valeurs que nous partageons. Donc il s’assure que les membres qui entrent respectent les valeurs du
Collectif, qu’on les accepte, de les suivre dans le processus s’ils veulent devenir des membres engagés.
Finalement, si quelqu’un doit être mis dehors, c’est aussi au Collectif d’en discuter. Aussi, il va y avoir un
cercle spécifique pour soutenir les membres qui arrivent avec des projets et qui va les aider à monter un
plan d’affaires et tout ça.
RC. Donc, c’est comme un incubateur, un facilitateur de projets ?
AP. Exactement, d’ailleurs c’est comme ça que ça s’appelle : le cercle incubateur !
MSL’A. Il y a aussi des logements accessibles à court terme, pour les gens qui veulent venir nous voir et
expérimenter la vie en collectif.
AP. Oui, car il faut garder en tête qu’on doit rembourser notre prêt à hauteur de 50 000 $ chaque année.
En fait, on finance le projet grâce aux contributions des membres chaque mois ou chaque semaine. On
fonctionne selon un mécanisme de contribution consciente, c’est-à-dire que ce n’est pas tout le monde
qui paye la même chose.
RC. Comment fonctionne la contribution consciente, chacun décide de ce qu’il donne ?
AP. En fait, la contribution consciente, ce n’est pas une donation. Tu dois prendre en considération ce que
le collectif offre comme service, ainsi que tes propres moyens, donc c’est un équilibre entre les deux que
tu dois trouver, en ton âme et conscience. Par exemple, si on organise un week-end de développement
personnel, on va proposer de contribuer à hauteur de 75 $ à 300 $. Soixante-quinze dollars, c’est ce
que ça nous coûte pour organiser l’activité. Ensuite, chacun voit jusqu’où il peut aller en fonction de
ses moyens et de son envie d’investir dans le développement global du projet. Pour les logements, tu
dois faire une proposition de contribution consciente au Collectif, puis c’est discuté par l’ensemble des
membres, en toute transparence. On sait aussi combien les membres ont investi dans les obligations
communautaires (pour financer les travaux).
RC. Donc, pour les gens qui veulent vivre de manière différente et qui ont plein d’idées, ils pourraient
communiquer avec le Collectif, arriver avec des projets, présenter ça au Collectif et essayer de le
développer ici et si ça marche, tant mieux et sinon, ils peuvent repartir. On n’est donc pas obligés de
signer ou de tout vendre à Montréal pour intégrer le Collectif…
AP. Ça prend au moins six mois pour devenir membre engagé, donc, pour pouvoir vraiment développer
un projet ici, parce qu’on veut être sûr qu’on va bien fonctionner ensemble. Donc, une personne peut
venir nous voir en nous disant : « Moi, je veux m’engager ; tel ou tel projet m’intéresse. » On va alors
faire des rencontres et possiblement lui donner six mois pour découvrir le collectif. Après trois mois,
il y a une première évaluation et après six mois, on prend une décision tous ensemble. On peut aussi
prolonger la période d’adaptation à neuf mois.
RC. Il faut prendre le temps de s’apprivoiser alors.
AP. Oui. Et aussi pour l’instant, on a surtout des membres engagés qui veulent des maisons pour habiter
ici. Mais on n’a pas encore défini le statut du membre engagé qui veut développer un projet mais qui
n’habitera pas sur place, car on n’a pas encore eu ce genre de cas-là.
RC. J’ai l’impression que pour l’instant, c’est comme une communauté temporaire. Il y a beaucoup de
gens qui viennent contribuer de temps en temps aux projets et puis repartent chez eux. À terme, estce
que vous envisagez que le Collectif vive ensemble sur place ?
AP. Oui, on souhaite construire environ vingt logements, dont une dizaine en coopérative d’habitation
propriétaire et dix logements en coopérative d’habitation locataire pour que ce soit plus accessible.
Pour l’instant, le cercle sur les logements n’est pas encore formé, mais on sait que pour pouvoir avoir
une maison, il faudra être un membre engagé. Un membre engagé peut aussi juste être locataire, et
payer par exemple 25 % de ce qu’il gagne. Et s’il ne gagne pas beaucoup, il pourrait donner du temps au
Collectif. Ça peut aussi être quelqu’un qui travaille à l’extérieur, qui dispose de suffisamment d’argent et
qui va investir dans sa maison, mais dont le terrain ne lui appartiendra peut-être pas, bref, il y beaucoup
de règles qu’on n’a pas encore définies. Ça sera fait avec le nouveau groupe.
MSL’A. C’est sûr que l’idée, c’est d’aller habiter là à moyen terme. On vient tout juste de fêter notre
première année d’existence, c’est quand même tout nouveau comme Collectif. Pour le moment, on va
prendre soin des bâtiments qui sont là et apprendre à travailler dans des projets qui sont moins risqués
financièrement. Avant de s’engager dans la construction d’un immeuble à dix logements, je trouve qu’il
est important de créer ensemble des projets à plus petite échelle pour développer notre capacité à
travailler ensemble.
RC. Donc, développer les valeurs centrales de la communauté, c’est l’essentiel dans le fond. C’est ça
qui va permettre de développer le projet de façon harmonieuse en prenant le temps de cheminer, de
transformer les valeurs des uns et des autres pour arriver à la construction de l’écovillage.
AP. Faut apprendre à s’aimer pour travailler ensemble !
RC. Et le travail est un élément central de tout ça ; dans le fond, vous construisez votre utopie.
AP. Même si on n’est pas une entreprise et qu’on essaie de ne pas trop fonctionner comme une
entreprise, on reste une entreprise. En fait, La Nuée, si on disait ça avec des mots plus crus, c’est une
agence de création d’entreprises et de maisons. C’est ça que ça fait en réalité, mais avec des valeurs
différentes de celles qui dominent actuellement dans la société, bien sûr.
MSL’A. On répond à des besoins mais avec des outils différents qui sont plus inspirés de l’économie
sociale. Quand on parle d’entreprise, on associe souvent aux entreprises capitalistes, mais ce n’est pas
du tout ça, notre objectif. C’est vrai qu’on doit survivre dans le système actuel, on doit mettre en place
des organisations qui sont viables financièrement, mais dans lesquelles on va essayer de développer
une forme d’horizontalité, une manière d’être, un savoir-être qui est différent de ce qu’on retrouve
dans d’autres formes d’entreprise.
RC. Quels sont les défis majeurs que vous pouvez identifier pour arriver à construire ce modèle
d’organisation sociale horizontale hors système ?
AP. Le premier défi, c’est la communication. C’est le plus difficile, même si on est plusieurs à être formés.
Il faut gérer les dissensions, les conflits qui apparaissent et c’est normal. Le deuxième défi, c’est l’argent.
En fait, c’est le fait d’être dans un système capitaliste le défi, finalement, parce que ça nous oblige à
fonctionner un peu comme dans la société, c’est-à-dire qu’il faut qu’on ait des salaires sur place parce
que les gens doivent travailler, rembourser l’hypothèque, payer leurs contributions. Il faut créer des
emplois, il faut créer des logements. C’est comme dans la vraie vie ! Mais en ayant une vision différente
et même si on se dit anticapitaliste, anti-patriarcat, on l’est pareil parce qu’on a été formaté comme ça.
La question, c’est d’essayer de sortir de ces cadres de pensée et on n’est pas toujours outillés pour le
faire, c’est difficile parce que ça demande beaucoup de travail sur soi.
MSL’A. Je suis d’accord et en même temps, je trouve que la communication est une des forces dans
notre groupe actuellement. Et le rapport au capital, effectivement, c’est tout un défi de développer
une utopie dans le système actuel. Je termine justement ma thèse dans laquelle j’étudie les communs
et justement un des facteurs qui crée des tensions au sein des groupes qui s’orientent dans cette
direction, c’est le rapport des projets au capital, à cause de la dette. Les créanciers sont-ils patients ou
au contraire, vont-ils couper l’herbe sous le pied dès qu’il y a un retard de paiement ? Comment arrivet-
on à financer ces projets tout en conservant une capacité de décentraliser les décisions et d’avoir
une gouvernance totalement horizontale, même quand c’est stressant au niveau financier ? Nous, on
fait affaire avec la Caisse d’économie solidaire, et on va bientôt déployer une campagne d’obligations
communautaires. Il faut trouver de nouvelles manières de financer ces projets, en ayant un capital qui
est patient, qui comprend toute la valeur sociale ajoutée d’un tel projet sans seulement regarder le
retour sur investissement.
RC. Un des défis que vous soulignez, c’est que pour pouvoir acheter le terrain, vous vous êtes endettés
auprès des banques. Vous n’avez jamais pensé à avoir votre propre monnaie ?
AP. Ça fait partie des choses qui ont été proposées, mais on n’est pas encore rendu à avoir notre
monnaie locale. Déjà juste la reconnaissance de la valeur du travail, ce serait déjà bien. Mais oui, ce
serait intéressant de développer une monnaie locale avec des agriculteurs du coin, des partenaires
locaux et pas seulement les membres de l’écovillage. On pourra le faire quand on sera un plus grand
groupe parce que pour l’instant, on n’est pas assez nombreux pour que ça vaille le coup de mettre ça en
place. Mais en effet, ça fait partie de nos stratégies à long terme.
RC. Est-ce que vous êtes en lien avec d’autres écovillages ou expériences semblables au Québec ?
AP. Oui. J’ai plein de contacts dans plein d’écovillages, dans plein de projets, et on est plusieurs à avoir
des liens. Il y a des groupes qui veulent venir nous visiter, il y a des membres du Collectif qui vont visiter
d’autres groupes ou faire des activités dans d’autres écovillages. On a tous des liens comme ça et on
a aussi des partenaires qui viennent faire des activités pour nous bénévolement. L’année prochaine,
on prévoit faire des activités avec d’autres écovillages, mais pour cette année, on est complètement
débordés avec nos propres projets.
MSL’A. C’est sept jours sur sept pour plusieurs ici !
RC. Si vous aviez un message à passer au lectorat de la revue qui s’interroge sur les possibilités de
vivre hors système, qui sont intéressés par ce que vous faites avec le Collectif La Nuée, quel serait-il ?
AP. C’est de venir nous voir et de venir passer une journée ou une fin de semaine avec nous à St-Didace.
Il faut venir vivre l’expérience de l’écovillage. On va aussi émettre des obligations communautaires,
vous pouvez en acheter, c’est une manière d’appuyer un projet qui veut changer les choses. Mais ça
c’est si vous voulez participer sans vous impliquer. Maintenant, si vous voulez vous impliquer, venez sur
place et vous pourrez participer aux rencontres du Collectif. C’est une belle expérience que je conseille
aux gens. On a aussi souvent besoin de matériel ou de bras, donc si vous avez des choses ou du temps à
donner, n’hésitez pas à communiquer avec nous ! On récupère aussi de la nourriture, qu’on transforme
et qu’on met à l’épicerie. Tout ça, c’est de l’encouragement pour le Collectif, parce que quoi qu’on fasse,
c’est le Collectif qui prime.

par Raphaël Canet

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